Un fou sur la Diagonale

Comme nous vous l’annoncions la semaine dernière, la 19ème Diagonale des Fous s’est déroulée du 13 au 16 octobre sur l’ile de la Réunion. Matthieu, a.k.a « L’ingénieur ingénieux », collaborateur chez SWiTCH, s’est finalement fait rattraper par la barrière horaire après 132 km, 8400m de dénivelé et 56 heures d’effort. Il revient sur l’origine de ce défi, révèle ses secrets de préparation et décortique à chaud sa course, ses erreurs, ses impressions de l’intérieur. Récit trépident d’une expérience de dépassement de soi.

Le défi
Fin octobre 2010, la 18ème édition de la Diagonale des Fous touche à sa fin. Au cours d’une soirée, des amis suggèrent avec une bonne dose d’humour de participer à cet évènement. L’idée est séduisante mais ayant un verre à la main je préfère réserver ma réponse au lendemain… Sans le savoir, ils ont tapé dans le mille ! J’en rêve depuis des années sans jamais m’en être donné les moyens. Même après un tour du monde des domaines skiables de 18 mois qui m’a appris que rien n’était impossible, je n’ose pas m’aligner sur une telle course. Qu’importe, le lendemain je valide mon engagement dans ce projet et attaque l’entraînement dans la foulée. La charge de travail s’annonce colossale, d’autant plus qu’à ce stade je suis loin très d’être en forme : je n’étais plus capable de courir 10 minutes sans être essoufflé.

La Préparation
On entend tout et son contraire à ce sujet. Cela va de « quelques randonnées longues suffisent dans les derniers mois précédents l’épreuve » à « au moins 2 ans de préparation méticuleuse sont indispensables ». Chacun pense avoir la bonne recette et donne son avis en voulant rendre service. Pas facile de faire le tri dans toutes ces informations ! Avec un ami trailer d’expérience, nous retenons quelques courses de difficulté croissante pour jalonner la préparation et engranger de l’expérience. Le Trail des Collines à Tullins (35 km, 1100mD+) en mars 2011 et La 6000D à La Plagne (60km, 4000mD+) en juillet 2011 m’apprendront à gérer le stress de la course, à continuer à avancer malgré la douleur et l’envie de tout abandonner.

La Course
Les derniers jours sur place passent lentement. Il n’est plus question de courir mais de se reposer et d’accumuler des heures de sommeil pour tenir le coup. L’attente est longue et l’envie de se jeter dans le « grand bain » pressante.

Le jour J (13/10/11 à 22h00) chacun essaie de s’économiser et de s’échauffer doucement dans le paddock, devant ça va partir vite. La première barrière horaire est serrée pour parcourir 15 km de route forestière avant d’attaquer un sentier étroit, réputé pour ses embouteillages, où il est difficile de doubler. Les premières heures de courses ne sont pas intéressantes : il n’y a rien à voir, je lutte avec le sommeil et cherche ma motivation. Vers 4 h00 du matin le terrain se dégage, nous évoluons à plus de 2000m d’altitude au milieu de petits pitons sous la pleine lune. Arrivé au sommet du rempart du Piton de la Fournaise il fait 2 degré et malgré les efforts intenses je suis frigorifié. Moi qui pensais souffrir de la chaleur et de l’humidité, je me suis bien trompé !

La difficulté du parcours réside non seulement dans les statistiques impressionnantes, mais surtout la variété des chemins rencontrés. Entre Mare-à-Boue et Hellbourg, 15 km de boue jusque mi-mollet auront raison de bon nombre de coureurs. Les autres y laisseront une quantité importante d’énergie. Devant l’adversité du terrain, nous formons des petits groupes de coureurs, pensant être plus forts à plusieurs. Grosse erreur : un faux rythme ralentit ma progression, et je perds de l’énergie à écouter les commentaires des uns assurant que le sentier est bientôt fini, et les plaintes des autres pestant sur l’organisation qui n’aurait pas dû nous faire prendre ce chemin. Je finis par réaliser que quelque soit la longueur et la difficulté de ce tronçon, il fait partie de la course. Je me mets alors dans une bulle et fonce tête baissée en arrêtant de me faire influencer par les errements du groupe.

Apres 20 heures d’efforts sans dormir, la fatigue commence à se peser et il reste 20 km à parcourir avant la « sieste » planifiée. J’enchaîne donc sans attendre les 1500m de dénivelé vers le gite du Piton des Neiges. Le début du sentier est magnifique et donne l’impression d’être dans une forêt japonaise baignée dans la brume : des pierres grises recouvertes de mousse verte et d’immenses épineux – importés du Japon pour fournir du bois au développement de l’île – s’élancent vers le ciel. Vient alors le Cap Anglais, un des gros morceaux annoncés : raide, escarpé et glissant, il faut souvent poser les mains par terre. De nuit, l’exercice n’est pas aisé. Une fois au sommet, une nuit dégagée récompense les efforts consentis. Une fois de plus, le froid est saisissant. Nous sommes à mi-course et les 1400m de descente vers Cilaos font très mal. Le moral est en chute libre et cette étape est connue pour ses nombreux abandons…

Le 15/10/11 à 1 h00 du matin, l’atmosphère est glacée (2°C) et l’humidité abondante. Je suis septique quant à mes chances de repartir 2 heures plus tard. Pourtant, après une douche froide, un massage, un passage chez le podologue pour soigner les ampoules et 22 minutes de sommeil sous la tente (+ quelques minutes grappillées sur la table du podologue !), je me sens revivre. Sur ce check-point, je bénéficie aussi de l’assistance précieuse de 2 amies pour « penser à ma place », préparer à manger et s’assurer que je repars dans les meilleures conditions. C’est un gros avantage sur une telle épreuve. Devant leur aplomb « t’as une bonne tête, tu repars! » : je reprends la trace gonflé à bloc et avec la sensation d’avoir rechargé les batteries. A posteriori, je n’en reviens toujours pas de l’effet de ce ravito !

La montée au Taibit facilement avalée, il reste à traverser le dernier cirque de Mafate. Un soleil de plomb et des sentiers bourrés de pierres me cassent les jambes. Ce cirque est petit par la taille, mais complexe tant il est ramifié. Durant la course, je manque de temps pour observer tous les panoramas. Il m’est difficile de m’orienter sur la carte malgré les heures de préparation. C’est un sentiment déroutant et inhabituel. Après 110 km de course, mes chevilles enflées et mon genou gauche donnent des signes de faiblesse. En fin de journée, j’essaie de me refaire une santé au poste de secours de Deux Bras en dormant 45 minutes.

Le 16/10/11 à 2h45, j’arrive au check-point de Dos d’Âne. Je me dis que le plus dur est fait et que maintenant çà devrait rouler facilement. Encore une grosse erreur ! A la Réunion, le terrain est toujours exigeant et difficile. Je suis au bout de moi. Ma lampe frontale n’a plus de puissance et c’est à ce moment là que la batterie de mon téléphone portable décide de rendre l’âme. Je perds alors tout contact avec le soutien de mes proches et l’équipe de SWiTCH qui, bien que restée en France, est en standby 24h/24 depuis plus de 2 jours pour répondre en direct à mes questions, me garder motivé et concentré sur mon objectif final. Chaque nouveau pas est plus pénible que le précédent. Je ne visualise plus le soulagement de la ligne d’arrivée, mais uniquement les difficultés des prochains mètres à venir. A 4h54, la barrière horaire à raison de moi. Je suis hors délai, c’est fini.

What’s Next ?
Sur le coup, je ne suis pas capable de dire si j’ai envie de continuer à m’entraîner à courir. Quelques heures de sommeil plus tard, je me pose déjà la question de savoir ce que je pourrai faire différemment afin que de  la prochaine course se passe mieux (et accessoirement que je puisse la terminer) !

Dans un premier temps, je reviendrai randonner sur l’île de La Réunion pour profiter de la beauté de Mafate et monter au Piton des Neiges. Dans un second temps, je pense que je vais continuer à faire des courses longues et pourquoi pas revenir en 2012 pour une édition que Robert Chicaud – Président de l’Association du Grand Raid – annonce comme « une course difficile, longue et pénible, mais une course classique ».

Alors, je vous donne rendez-vous sur la ligne de départ, en 2012 ! 😉

Big up !
Merci à tous ceux qui m’ont soutenu dans ma préparation et pendant l’effort. Tous les courageux qui sont venu courir avec moi, même les nuits d’hiver (!), qui ont cru en moi et m’ont poussé à explorer mes limites. Merci pour tous vos messages pendant la course, ça aide à tenir la distance !

Toute l’équipe de SWiTCH tient à :
– féliciter Matthieu pour être allé au bout de son rêve (qui même inachevé reste une grosse performance) et pour nous avoir fait vibrer au passage !
– remercier chaleureusement Julien de Raidlight pour le top matos et sa réactivité sans faille. 😉

Texte : Matthieu Gaurin & Armelle Solelhac
Crédits photos : Séverine Rey & Loïc Logel


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